Entretien avec les auteurs-réalisateurs : Françoise Bouard et Régis Blanchard.
Comment vous est venue l’idée de faire un film sur Plum FM ? C’est en emménageant dans le village de Sérent que nous avons découvert Plum FM. La première fois que nous sommes tombés sur ses ondes, nous avons été frappés d’entendre une voix hésitante, pas toujours compréhensible, mais profondément touchante. Peu à peu nous avons découvert une multiplicité de voix et de tons, offrant la parole d’une société jamais (ou si peu) entendue sur les ondes, celle qu’à travers nos film nous avons toujours désiré mettre en scène. Ce fut pour nous une évidence que d’aller à la rencontre des visages qui se cachaient derrière ces voix. Et nous avons tout de suite été séduit par ce lieu créateur de lien social.
Au-delà des activités classiques d’une radio associative de campagne, Plum FM est avant tout un outil collectif proposant à ses membres un lieu d’échange et de convivialité hors pair. Cette radio est bien plus qu’un simple média en milieu rural. Les particularités y sont cultivées, qu’elles soient sociales, culturelles, physiques, psychiques… Elles font partie de l’identité de la radio et c’est sous cet angle que nous avons choisi de construire le film.
Le spectateur se sent accepté dans l’alcôve de Plum. Tout se passe à la fois comme si la caméra n’était pas là, tout en sentant régulièrement la légitimité de sa présence. Comment avez-vous réussi à faire accepter votre regard cinématographique aux personnes filmées ? La première étape a été de créer une relation de confiance avec Jibé. Pour lui, ce n’était à priori pas évident d’accepter la présence d’une caméra dans ses ateliers avec des publics fragiles. Nous avons posé comme règle fondamentale que s’il sentait que la caméra n’avait plus sa place, nous sortirions tout de suite. Ce que finalement nous n’avons jamais eu à faire. Nous avons testé le dispositif lors de la phase de repérage avec un groupe de jeunes en réinsertion sociale. Et Jibé a été agréablement surpris par ce qu’a provoqué la présence de la caméra. Finalement, comme nous étions les témoins de ce qui se jouait pour chacun, les jeunes se sentaient « portés » par notre regard qu’ils ne voulaient pas décevoir. Nous étions un argument de plus pour eux de se dépasser. En les filmant, nous leur offrions aussi une reconnaissance.
La situation financière de la radio est particulièrement difficile au moment du tournage. Avez-vous choisi le temps du tournage pour cette raison ? Non ! Nous voulions aborder la question de la fragilité financière de la structure, nous savions que tous les ans il y a des moments « tendus » à ce sujet. Mais nous ne savions pas ce qui se passerait quand nous avons entamé le tournage. C’est la réalité qui a servi le film. Nous avons eu la « chance » d’être là à un moment particulièrement dramatique pour l’avenir de la radio, ce qui bien entendu sert la dramaturgie du récit.
Pourquoi avoir choisi Jibé comme personnage central ? La richesse de Plum offrait plusieurs axes de narration. 6 salariés travaillent sur des dimensions différentes (la langue gallo qui est la seconde langue en Bretagne, l’environnement et le développement durable..) et une cinquantaine de bénévoles viennent régulièrement faire une émission. Mais Jibé est celui qui rassemble le mieux les problématiques que nous souhaitions aborder : l’utilité sociale de la radio et la question de la normalité dans notre société. En filmant son travail, nous filmions nécessairement les publics « fragiles » qui viennent à la radio et en même temps nous avions un fil rouge auquel le spectateur peut se raccrocher. Et sans vouloir exagérer, Jibé est naturellement un personnage idéal, remarquable par son humanité, son sens de l’écoute et son professionnalisme. Dès le début du tournage nous avons senti qu’en filmant son écoute attentive lors des ateliers, les émotions, les enjeux de chacun se reflétait sur son visage comme dans un miroir. C’est par son filtre que le spectateur rencontre les autres protagonistes.
Les fragilités et les faiblesses des personnes qui témoignent de leur souffrance sont dévoilées dans votre film. Comment les protagonistes du film ont-ils vécu cette mise à nu documentaire ? Ils ont tous préalablement vécu cette mise à nu avec la radio, comme on peut le voir lors des séquences d’écoute de leur témoignage avant le passage sur les ondes. Lors du visionnage du film, il leur fallait accepter leur image, ce qui n’était pas facile pour tous. Mais l’importance de témoigner a été plus forte que leurs appréhensions et ils ont tous donné leur accord pour la diffusion. Christelle qui dans le film a peur de la radio et dit en pleurant qu’elle a « mal fait » a été heureuse de revivre son retour à la radio. Et lors d’une projection publique, elle a pris le micro pour dire merci pour le film et surtout merci à la radio. Elle n’avait plus peur, elle était fière. Enfin, il faut préciser que nous ne dévoilons pas tout des souffrances et des pathologies de chacun. Au montage nous avons choisi de laisser des zones d’ombres plutôt que de restituer frontalement les paroles livrées. Au spectateur de remplir ce qui n’est que suggéré. Le témoignage accède alors à une dimension plus universelle sans perdre de sa force émotionnelle.
Paroles de spectateurs :
« Il y a une grande pudeur dans ce documentaire et surtout une force de suggestion de la douleur et de l’humanité profonde de chacun sans pour autant la montrer frontalement. On se sent toujours légitime, jamais voyeur et pourtant profondément ému. »